2 Février 2021.

Comment un geste inutile, aussi consternant que stupide, peut-il recueillir un large soutien de la pensée dominante ?

La séquence économique du 7-9 de France Inter, ce 2 février, a constitué un moment important du débat sur l'annulation de la part de dette publique détenue par la BCE (Un montant colossal équivalent à 20%, ou ~72 jours..., de PIB de la zone Euro.) Plus de détails sur cette page:
https://www.franceinter.fr/emissions/le-7-9/le-7-9-02-fevrier-2021 à 8h23 (Time code 1h 23')

Voici ce que j'en retiens (ce résumé reflète, j'espère... au moins une part de ce qu'un public non spécialiste risque d'avoir retenu):

1) Ne pas confondre les "bons usages" de la dette (pour éviter l'effondrement économique pour cause de pandémie... pour investir en faveur de la transition...), avec "les mauvais" !

2) Jusqu'à une durée d'emprunt de 20 ans, les taux d'intérêt sont négatifs; (de sorte que le coût d'une dette publique presque 2 fois plus forte, est... 2 fois plus faible !)
En outre, la crainte d'une remontée des taux d'intérêts peut être écartée: l'État vient de souscrire un emprunt à l'échéance de Mai 2072 (#), pour un montant de 7 milliards au taux de... 0,593%  ! (Il suffirait donc de multiplier de tels emprunts à 50 ans, pour obtenir une assurance tous risques sur la menace de remontée des taux.)

3) Vis à vis des marchés financiers, proposer de ne pas rembourser à la BCE les 2500 milliards de dette des États de la zone Euro, (dont les titres ont été rachetés à leurs propriétaires par la BCE), c'est prendre le risque que les créanciers s'inquiètent:
"On commence par ne pas rembourser la Banque Centrale, et après... ce sera notre tour ?", un doute qui est justement de nature à provoquer l'événement redouté: une remontée des taux d'intérêts !

Les 2 dernières affirmations ne sont pas certes pas indiscutables: par exemple la durée des emprunts publics, moyennée sur la totalité des 2000+ milliards de la dette publique F, n'est pas de 50 ans, mais d'un peu plus de 8 ans [*] !
De même, on ne peut guère supposer que des acteurs privés pourraient comparer leur situation de créancier à celle d'une Banque Centrale choisissant après un large débat de renoncer, (sous certaines conditions bien précises), à un remboursement dont elle n'a nul besoin...
En déduire que les marchés financiers pourraient craindre une spoliation, n'est-ce pas faire preuve d'un talent d'illusionniste... (pour reprendre l'expression méprisante d'O. Dussopt, à propos de ceux qui souhaitent cet abandon de créance par la BCE.)

Même sans être indiscutables, les 2 dernières affirmations ouvrent tout de même "un boulevard"... pour le naufrage de la rationalité que serait le remboursement de 2500 milliards à la BCE ! (Car rembourser une dette dont l'effacement ne léserait personne... et qui équivaut à "se rembourser une dette à soi-même"... est un geste à la fois inutile, irrationnel, & pour tout dire... consternant !)

Le discours en "justification de l'injustifiable"... que l'on peut craindre, (notamment de la part du groupe de travail présidé par Jean Arthuis, que B. Lemaire et O. Dussopt ont pris soin d'installer en janvier), est le suivant:
"N'allons pas au devant des ennuis... ne réveillons pas le chat qui dort... Il vaut mieux que les Etats réempruntent 2500 milliards sur un peu moins de 20 ans, car en ce moment, "faire rouler" la dette, (comme il est normal & habituel, pour des créanciers autres que la Banque Centrale), cela ne coûtera rien !
(Sauf, bien sur, pour les malheureux États qui ne sont pas considérés comme hautement solvables, & n'ont donc pas accès au territoire longtemps inexploré des taux < 0.)

Ce discours "ad hoc" a hélas toutes chances d'être efficace & convaincant, (du moins... pour un public non spécialiste.)
Il est pourtant largement contraire à l'intérêt général, aussi bien qu'à l'exigence de cohérence de l'action publique:
- il acte une fois de plus la perte de souveraineté populaire que constitue la soumission aux lubies des marchés financiers du pouvoir politique. (Du moins, de ceux qui, comme B. Lemaire & O. Dussopt, le représentent en ce moment.)

- il préserve l'outil de domination "des 1%", c a d ceux qui bénéficient du "ruissellement à l'envers", (de tous vers les plus riches, en UE & hors UE), que constitue la dette publique, transformée en... argument d'austérité, si j'ose dire !

- Surtout, il piétine une nouvelle fois l'exigence de cohérence de l'action publique: rembourser une somme colossale d'argent public au seul créancier qui n'en a aucun besoin:
la BCE est en effet Institut d'émission & Prêteur en dernier ressort de la zone Euro: elle peut créer autant d'argent qu'elle le juge nécessaire pour préserver le bien public que lui ont confié les États membres: la stabilité financière.
Les comportements irrationnels ne sont hélas pas inhabituels pour nombre de nos dirigeants, trop enclins à prendre des engagements incompatibles ! (Sauf peut-être, et en même temps, avec... leur popularité !):
voir par exemple le cas de l'accord sur le Climat, incompatible avec les accords de Libre Échange (comme celui avec le Mercosur, qui fait comme souvent, l'objet d'un double discours, selon que nos dirigeants sont à Paris ou à Bruxelles.)

En conclusion: les économistes dominants & le lobby bancaire ont cru pouvoir coller l'étiquette annullationnistes... à certains d'entre nous qu'ils devraient plutôt nommer... les "Citoyens rationnels"!
En effet, une élémentaire exigence de cohérence de l'action publique implique d'écarter un geste inutile, dont la principale justification est qu'il risquerait... d'inquiéter les marchés financiers !

Quelle étrange prévenance... à l'égard d'acteurs privés présents dans le GCF ! (C. à d... le "Grand Casino Financier", dont l'efficacité globale pour assurer, selon l'expression consacrée, une... allocation optimale de ressources, est proche de zéro.)
Michel Aglietta, Fréderic Lordon, et plein d'autres ont analysé les effets inhabituels de la loi de l'offre et de la demande appliquée au cas des marchés financiers: elle produit un comportement grégaire dont les 2 seules émotions sont l'euphorie et la panique !(Cf. ce dessin...)

Pour ne pas contrarier les acteurs changeants et versatiles que sont les marchés financiers, persister à exposer les plus démunis à une politique d'austérité (encore plus catastrophique dans le contexte actuel), n'est-ce pas le degré zéro de l'action politique ?

Comment ne pas songer au contraire aux bienfaits qu'apporterait une action déterminée pour réviser des traités mal conçus, car ils garantissent hélas, la domination des marchés financiers ?
Ce pourrait être l'occasion de prononcer l'annulation de la part de dettes publiques de la zone Euro qui ont été rachetées par la BCE.
En attendant cette heureuse perspective, la moindre des choses, (en cas de... non annulation vaudoue !), serait de secourir les États de la zone Euro, qui n'ont pas accès aux taux d'intérêt négatifs !

 (#) https://www.aft.gouv.fr/index.php/fr/publications/communiques-presse/20210119-lancement-oat-2072
 [*]
 https://www.aft.gouv.fr/fr/principaux-chiffres-dette